La fabuleuse histoire des NOx

J’ai enfin l’impression d’avoir plus ou moins compris ce qui constitue le cycle de vie des NOx, je vais donc essayer de le résumer vite fait avant d’oublier…

NOx est un terme générique utilisé pour désigner les oxydes d’azote (eh oui, le “N” c’est l’azote, je sais, c’est bizarre, mais bon. Ca fait partie des choses illogiques qu’on traine pour des raisons historiques), soit le monoxyde (NO) soit le dioxyde (NO2). Ces trucs sont en général produits par l’industrie et les transports (par exemple les voitures) et sont considérés comme des polluants pour plein de bonnes raisons. Notamment, le “smog“, ce brouillard épais qui flotte au-dessus des villes au trafic embouteillé, est formé en partie de NOx. Il faut noter que les éruptions volcaniques peuvent aussi produire des NOx (ainsi que des SOx – oxydes de soufre), mais moins.

Une fois relachés dans l’atmosphère, les NOx se baladent. Au cours de leur petite promenade, ils rencontrent de l’eau (il y a plein d’eau dans l’atmosphère) et s’y mélangent pour former du HNO3 ou acide nitrique. L’acide nitrique est une grosse saloperie, qui a plein d’usages hautement utiles, mais qui ici est évacué par les précipitations. La même chose arrive aux SOx : ils donnent de l’acide sulfurique (H2SO4) qui se mélange à l’eau de pluie. Ces fameuses pluies acides bouffent les plantes et appauvrissent le sol en minéraux, ce qui freine la croissance des forêts, donc c’est pas bon.

Mais les NOx ne s’arrêtent pas là. On les retrouve également plus haut, dans la stratosphère, ou strato pour les intimes. La strato est située juste au-dessus de la troposphère, où nous avons élu domicile et que nous partageons avec les nuages, les avions, les abeilles et les petits oiseaux (j’allais dire “les baleines”, mais non, elles sont dans l’eau donc ça marche pas). En gros, c’est l’étage du dessus, qui commence à peu près vers 10 km d’altitude aux latitudes tempérées et s’étend jusqu’à environ 50 km. La strato se caractérise par une température très froide et une concentration en eau très très faible, genre mille fois plus faible que dans la troposphère. Ca explique pourquoi on trouve plein de nuages dans la troposphère et, en général, pas du tout dans la strato.

Mais dans certaines conditions, par exemple quand il fait très, très froid, des nuages peuvent tout de même se former dans la strato. Un de ces endroits où il fait très, très froid, c’est par exemple au-dessus du pole en hiver – les températures peuvent y atteindre les -100°C, et on peut alors observer la formation de nuages stratosphériques polaires, ou PSC quand on parle anglais. Les PSC sont en général trop fins pour les voir à l’oeil nu, mais quand on y arrive ils sont très jolis. Le problème, c’est qu’on retrouve ici nos amis les NOx (et les SOx) : dans la strato très froide, l’acide nitrique HNO3 et sulfurique H2SO4 se mélangent à l’eau pour former des cristaux d’acide nitrique tri-hydraté (ou NAT) et des particules liquides H2O+HNO3+H2SO4 (ou STS). Quel intérêt, me direz-vous ? On y arrive…

Les PSC ne sont pas tous seuls, là-haut. Il y a aussi plein de trucs avec des formules compliquées (comme ClONO2 ou HCl ou BrONO2 ou BrCl), qui contiennent du Brome (Br) et du Chlore (Cl). On appelle ces trucs “espèces réservoir”, parce qu’ils sont inertes : ils ne mélangent à rien et restent là à profiter de la vue, que j’imagine imprenable. Mais voilà qu’arrive un PSC ! Drame ! Ces espèces réservoir se déposent sur les particules du PSC et réagissent avec (par exemple) les cristaux de NAT pour relâcher du HNO3, du Cl-Cl et du Br-Br !

Jusqu’à maintenant, tout va encore à peu près bien. On est dans la stratosphère, au-dessus du pole, il fait froid (Br-Br. HA HA HA HA hrm pardon). Il fait nuit, parce qu’en hier au-dessus du pole c’est la nuit perpétuelle. On a formé des nuages avec de l’eau et des dérivés de polluants comme les NOx et les SOx. Ces nuages passent dans les espèces réservoir et relachent du Br-Br et du Cl-Cl…
Mais voici qu’arrive la fin de l’hiver et le soleil qui pointe le bout de son nez. Et avec lui, comme souvent, arrivent les emmerdes : sous l’action de l’énergie solaire, les deux molécules de Cl (ou de Br) se séparent et sont alors libres de réagir avec l’ozone stratosphérique ! (vous voyez qu’on arrive quelque part) Ca se passe comme suit :

Cl + O3 → ClO + O2
ClO + O → Cl + O2

En résumé, le Cl transforme l’ozone (O3) et oxygène adiatomique (O2), et ressort de tout ça frais comme un gardon, prêt à recommencer de plus belle. Le Brome fait la même chose. Répétez l’opération un grand nombre de fois, et qu’est-ce-qu’on obtient ? Le plus gros trou jamais observé dans la couche d’ozone, septembre 2006 (image NASA) :

TrouOzone

A noter tout de même : les PSC ne sont pas les seuls coupables dans cette opération de forage stratosphérique, les CFC et autres gaz chlorés ont aussi leur part de responsabilités. Mais la présence de PSC ne fait qu’aggraver les choses…

Pourquoi je parle de tout ça : le projet franco-américain CALIPSO, qui trimballe un lidar à polarization en orbite depuis le joli mois de mai 2006, a observé plein-plein de PSC au-dessus de l’Antarctique entre juin et aout (l’hiver dans l’hémisphère sud). Et certains sont énormes, comme ce monstre observé le 24 juillet (cliquez pour le full effect) :
Big PSC from CALIPSO
L’échelle verticale (en altitude) va de 0 à 30 km. Cette saleté fait donc 12 ou 13 km de haut… On en apprend de belles. Et ça ne fait que commencer : l’hiver de l’hémisphère nord va amener son lot de PSC au-dessus du pole nord, et on ne sait pas encore la tête qu’ils vont avoir – pareille qu’au sud, ou très différente, personne ne sait 🙂 Au-delà de la détection pure et simple, on va pouvoir utiliser ces observations pour corréler la position des PSC avec celle des composants chlorés dans la strato, observée par exemple depuis MLS

Ce qui est rigolo, dans tout ça, c’est que c’est extrêmement nouveau : on a observé les NAT pour la première fois en 2000, donc on commence tout juste à comprendre comment marche tout ce bazar. Il n’y a même pas de page sur les NAT ou les STS sur Wikipedia, c’est dire.

PS : si quelqu’un de plus informé que moi remarque une grosse connerie dans ce que j’ai dit, qu’il n’hésite pas à instruire.

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6 Responses to La fabuleuse histoire des NOx

  1. irxyb says:

    Good site!!!

  2. Moi j’suis censé être plus informé que toi (actuellement en stage au CNRS dans un labo qui bosse sur la perte de la couche d’ozone) mais les thèses et les publications qu’on me file répondent beaucoup moins bien à mes questions que ton petit texte (et puis en plus les chercheurs y ont jamais pensé à la vanne des Br2 qui se dissocient, eux)

    T’as trouvé tes infos dans quels sites, si c’est pas trop indiscret (un ou deux suffiront) STP ?

    P.S. : eh Palaiseau c’est où ? près de la mer nan ?

    P.P.S. : le site indiqué il est pas perso perso mais j’l’aime bien

    • vnoel says:

      Bin je n’ai pas vraiment trouvé les infos sur des sites, je les ai un peu glanées au fur et a mesure de mes recherches a moi… (en gros, dans les thèses et les publications illisibles que tu te tapais a l’époque ou tu as posté ton commentaire 😉 J’ai essayé d’en faire un truc un peu moins illisible, justement.

      Palaiseau c’est pas vraiment près de la mer, non, malheureusement :-p

  3. Larigauderie Carole says:

    Bonjour,

    J’ai beaucoup aimé cet article, j’ai même eu l’impression par moment de comprendre… Ce qui me fait personnellement le plus plaisir c’est de voir que vous sitez Calipso (je m’en occupe actuellement bien modestement). J’aimerai que le CNES ecrive un article à partir du votre. Pouvez-vous m’aider à synthétiser un peu? Par avance merci.
    Carole.

  4. Pingback: indefinite hiatus | Bloody Fingers

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